Mario Poirier

Le vieux piano de Lanoraie
J’ai l’air de rien comme ça, un peu ébréché, un peu défraîchi, mais j’en ai fait de la musique à Lanoraie dans ma vie. J’en ai fait danser du monde.

La première personne qui m’a fait chanter fut Estelle Hétu, l’épouse du Dr Alphonse Rondeau, célèbre médecin de Lanoraie, celui dont le CHSLD de Lanoraie porte le nom. Je désennuyais Estelle pendant les longues soirées où le dévoué docteur était allé soigner ses patients. La maison du Dr Rondeau était située au 389 de la rue Notre-Dame au village de Lanoraie. Malheureusement, Estelle est décédée relativement jeune. Le bon docteur qui était impliqué dans les activités de la municipalité a décidé de me donner au Centre de loisirs de Lanoraie où encore une fois j’ai fait chanter et danser plein de monde. Dans ce temps-là, nous, les pianos, étions populaires ; nous étions les animateurs des fêtes, des noces, des baptêmes. Nous étions synonymes de réjouissances.

Je me suis retrouvé par la suite chez Monsieur André St-Denis, parolier qui a composé pour beaucoup de chanteurs. Pour tout dire, cette période est faite de party musicaux, de va et vient de musiciens connus et de créations comme » Ayoye  » chanté par Gerry Boulet, ainsi que bien d’autres titres connus, tel  » Rock de Velours  » et « Lanoraie, c’est le paradis ». Je vous dis que j’en ai passé des soirées « sul » party, comme on dit.

Et un jour, c’est chez Mme Lorraine Desjarlais que je suis allé. Mme Desjarlais était enseignante et écrivaine. Elle a fait paraître plusieurs livres dont « Charlotte et la mémoire du cœur  » un roman historique et  » En journoyant  » un recueil de poésie. Mme Desjarlais s’y connait en poésie, elle est la petite fille de Louis Joseph Doucet, poète très connu de Lanoraie. On le surnommait  » le Prince des poètes  » du Quebec. D’ailleurs vous remarquerez sur mon lutrin la partition de  » La chanson du passant « , dont les paroles sont de Louis Joseph Doucet et mis en musique par Georges Milo.

J’ai donc passé des jours plus tranquilles dans la vieille maison historique de Louis Joseph Doucet, sur la rue du même nom, jusqu’au jour où Lorraine Desjarlais a fait la connaissance de Lorraine Alix, une petite nouvelle au village, qui venait d’y ouvrir sa petite école de musique. Les deux Lorraine s’entendent à merveille, vous savez, cette petite connexion qui se passe entres artistes. Mme Desjarlais m’a donc confié à Mme Alix.

Depuis près de 30 ans donc que je suis à l’École de musique Lorraine Alix où je fais plus de musique que jamais. Même si j’ai plus de cent ans, tous les jours des dizaines de mains, jeunes et moins jeunes viennent me caresser les touches. Je fais des duos, je développe des talents. Je fais des gammes de toutes sortes, j’accompagne des chanteuses aux talents émergents. Tandis que bien de mes confrères ont finis en cendre dans un foyer ou croupissent dans un sous-sol humide, moi, je me sens privilégié, on a bien pris soin de moi, et en retour, je m’efforce de bien jouer. À Lanoraie, il y a beaucoup de talents et à bien y penser, c’est un petit peu à cause de moi, le vieux piano.

ARTISTE : Mario Poirier

MÉDIUM : Photographie - pellicule 35 mm

DATE D'INAUGURATION : 2020

Lanoraie